N’y a-t-il de spiritualité que religieuse ?

 

Il s’agit pour moi d’une question fondamentale et complexe. C’est pourquoi,  sans me lancer dans un long monologue, je souhaite exposer :
En quoi la spiritualité est pour moi bien plus encore un concept philosophique que religieux
Les relations possibles, d’une part entre psychanalyse et spiritualité, d’autre part entre politique et spiritualité.

 

En quoi la spiritualité se rapproche t’elle davantage de la philosophie que de la religion ?

La spiritualité présente 2 dimensions essentielles :
Une dimension intuitive universelle qui vise à s’élever au-dessus de la dure réalité matérielle, du relatif, pour atteindre une forme  d’absolu qui dépasse y compris la Raison et l’approche purement intellectuelle des choses. Peu importe le nom qu’on lui donne : Dieu ( pour les grandes religions du livre)- le Divin- l’Absolu- l’Etre Suprême (révolutionnaires de 1789)- l’Esprit- l’Ame- la Nature- l’Englobant (Karl JASPERS )- la Vacuité (bouddhistes)…
Une recherche personnelle intime sur soi-même qui se traduit par un cheminement intérieur
La religion (grandes religions du livres : Judaïsme- christianisme- islam) présente au contraire un système collectif de croyances reposant sur une Révélation et des dogmes. Cette révélation et ces dogmes permettent d’identifier la communauté des croyants ou fidèles vis- à- vis du reste de la société. Ils s’expriment par un culte et des rituels fondés sur une organisation institutionnelle généralement hiérarchisée : le clergé (avec quelques nuances selon les religions)
Aussi, la religion peut-être compatible avec la spiritualité (grands mystiques du christianisme- soufis (islam)- philosophes religieux tels AVERROES ou personnes ayant atteint un haut niveau spirituel se traduisant par une forme d’engagement exemplaire comme mère Thérésa, l’abbé Pierre…
Mais la religion peut générer également le dogmatisme, le fanatisme, l’intégrisme, les guerres de religion et de civilisation, toutes notions totalement étrangères à la notion même de spiritualité.
Par ailleurs, nous connaissons tous des religieux qui se servent de leur pouvoir prétendu spirituel pour asseoir leur domination temporelle sur la société. Comme nous connaissons des non-croyants qui rayonnent en raison de leur engagement dans une authentique démarche spirituelle
Et au bout du compte, cela n’est pas étonnant, puisque la démarche spirituelle est essentiellement une démarche individuelle alors que l’engagement religieux se réfère à une démarche collective d’adhésion à un certain nombre de croyances et de rituels communautaires et codifiés.
Je pense donc que la spiritualité est largement indépendante de la religion. Il s’agit d’une volonté de dépassement de soi reconnaissable par ses bienfaits collatéraux indissociables en termes de comportement : la tolérance- l’amour- la compassion- l’altruisme. De ce point de vue, peu importe que l’on soit croyant ou non. Il peut même y avoir une spiritualité athée
A cet égard, la spiritualité se rapproche donc bien davantage de la philosophie comprise comme une recherche fondamentale sur l’essence de l’homme et de l’univers pour en retirer une sagesse personnelle dans la vie de tous les jours. Je prends le mot philosophie au sens oriental ou grec du terme et non au sens académique contemporain et universitaire français où ce mot est trop souvent confondu avec une simple somme de connaissances abstraites faisant fi de la remise en cause de son propre comportement .
Mais il est également possible d’opérer des liens entre la spiritualité et la psychanalyse, et le politique.

 

Liens entre la psychanalyse et la spiritualité

Après avoir établi le lien entre société et névrose, FREUD et surtout JUNG ont reconnu que certaines d’entre elles ne pouvaient trouver de réponses que dans le champ spirituel
Cette découverte de la « psycho spiritualité » n’est qu’une découverte relative car déjà présente dans les traditions spiritualistes très anciennes (par exemple le bouddhisme) . Selon elles, le mal –être se fonde sur l’aveuglement de l’égo et trouve une solution  dans une voie d’enseignement spirituel original reposant sur la relation étroite  maître élève.
Cela m’apparaît très intéressant et moins obscur que ne le prétend l’ethnocentrisme occidental et ses préjugés sur la distinction artificielle esprit oriental- esprit occidental. Comme tout champ conceptuel, ce processus est tout aussi intelligible ou incompréhensible que ne peuvent l’être les philosophies de KANT ou bien de MARX, en fonction de la qualité plus ou moins pédagogique de la présentation qui en est faite.
Cependant, la « psycho spiritualité » doit nous inciter à la plus grande vigilance sur son enseignement car c’est la brèche dans laquelle s’engouffrent les sectes, non plus pour libérer l’élève, mais pour asservir l’adepte à un gourou.

 

Liens entre la spiritualité et le politique

MALRAUX a dit que le 21ème siècle serait religieux ou ne serait pas. Il aurait en fait dû dire qu’il serait spirituel ou ne serait pas.
Face au matérialisme abrutissant de la société de consommation et aux relations d’assujettissement des êtres qu’il induit, la spiritualité peut alors être conçue comme un processus mental de résistance à ces fausses idoles des temps modernes incarnés par le pouvoir des apparences et de l’argent, par le culte de l’éphémère et du superficiel, par la dictature de l’immédiat.
La crise de la société actuelle se définit ainsi  par une crise spirituelle affectant les individus ayant perdu tout repaire, en interaction avec la crise économique et sociale
La recherche spirituelle permet au contraire de redonner du sens à nos existences en s’interrogeant sur les fondements non marchands de l’être humain pris dans ses relations avec les autres,  avec la nature, et l’ensemble de son environnement
Le pouvoir politique l’a si bien compris que, dans une espèce de bouillie conceptuelle, il cherche à instrumentaliser à son profit des notions d’essence spirituelle telle la politique de civilisation, le choc des civilisations, les racines chrétiennes de la France, quitte à les dévoyer
Le citoyen se doit donc d’exercer son esprit critique face à ce risque d’instrumentalisation de la spiritualité par le pouvoir politique. C’est le sens de la laïcité.

 

Conclusion

En conclusion, j’attends beaucoup de nos échanges au sein de notre café philosophique qui est par nature une démarche spirituelle
Pour moi, la spiritualité a en premier lieu un sens philosophique et personnel. Comme telle, elle est dénuée de tout dogmatisme religieux ou idéologique.
Elle nous rend véritablement libre en élevant notre esprit au dessus de notre pauvre petite condition d’être humain limité et mortel.

 

Philippe Abel